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Tuer, c’est tendance !

Game of Thrones

, House of Cards, Teen Wolf, Scandal, Person of Interest, Downton Abbey, Sons of Anarchy, Homeland, The Walking Dead, Revenge, The Good Wife… Sans vous spoiler quoique ce soit, toutes ces séries actuelles ont récemment perdu au moins un de leurs personnages principaux. Mort, abattu, enterré, décédé, on ne compte plus les pertes parmi les héros pourtant récurrents. Et cela ne s’arrête pas aux séries anglo-saxonnes : Braquo, Engrenages et très récemment Falco ont aussi dû faire leur deuil d’un personnage que l’on imaginait pourtant crucial à l’équilibre de la série. Une véritable hécatombe.


The Walking Dead saison 4 - Partie 2 Trailer...par mynews1

Sacrifices dans les soaps
Depuis des décennies, éliminer des personnages est monnaie courante pour les séries télé, et plus spécialement pour les soap-opéras. Quand une saga est basée sur l’histoire même d’une famille étendue, sur le long terme il paraît inévitable de voir disparaitre un fils, un cousin, un voisin, et encore plus un personnage principal.
Comme dans la « vraie vie », Fallon Carrington est victime d’un accident dans Dynastie et Constance MacKenzie meurt d’un cancer dans Côte Ouest. Et quand on arrive aux derniers épisodes de Falcon Crest, il ne reste plus aucun des Gioberti, la famille qui était pourtant au centre de l’intrigue au tout début de la série ! Dans l’immense majorité des cas, ce sont les comédiens qui demandent à partir, après avoir passé une décennie dans la peau d’un de ces personnages.
Mais déjà dans ces années 80, les scénaristes avaient compris qu’il y avait des limites à ne pas dépasser : quand Dallas décide de sacrifier Bobby Ewing, les audiences de la série plonge. Sans lui, l’équilibre est rompu : J.R., seul, ne génère plus le même type de conflits. Une saison sans son pendant positif a suffi pour que l’on demande à Patrick Duffy de reprendre son rôle…
Moralité : telle de la mauvaise herbe, on peut « couper » un personnage, mais il faut bien veiller à ne pas arracher les racines de la série en même temps.


Falcon Crest - Générique 8par Dynastiefr

Redéfinir les règles
À l’aube des années 90, éliminer un personnage principal d’une série dramatique a été un signal fort, preuve que le format télé était en pleine mutation. Dans Hill Street Blues, puis dans NYPD Blue, Urgences, Les Experts et même Lost, on a eu recours à un tel subterfuge : mettre en danger de mort un personnage dès le tout premier épisode, comme avec le détective Sipowicz de NYPD Blue, l’infirmière Hathaway de Urgences était le moyen de surprendre le téléspectateur et de lui faire passer un message : attendez-vous à l’inattendu. Même s’il sortait de l’hôpital peu après, mettre en danger un personnage auquel le public pouvait s’attacher était un stratagème narratif fort.
Passer à l’acte de façon plus définitive était bien plus difficile : dans Lost, Jack devait carrément mourir dans la première version du scénario du pilote, mais la chaîne ABC a insisté pour qu’il reste bel et bien le héros de la série.
Avec la généralisation du format feuilletonnant dans les séries dramatiques, faire vivre un personnage, le faire survivre, lutter, puis au bout d’un moment le faire disparaitre de façon surprenante est devenu aussi habituel que dans les soaps. Voir disparaitre le Docteur Greene (Urgences), l’expert Warrick Browne (Les Experts), ou le docteur George O’Malley (Grey’s Anatomy) a eu un impact profond sur le téléspectateur.
Que cette décision soit liée à une volonté de l’acteur, à des conflits contractuels ou à un besoin narratif, c’est le travail du scénariste de rendre cette disparition crédible et surtout pas anecdotique. Plus profondément, cette démarche illustre le propos que la vie vaut d’être vécu à partir du moment où la mort est au bout. Souvenez-vous avec quel impatience on cherchait à savoir, à la fin de chaque saison des Soprano, qui allait « dormir avec les poissons »…

Pardon de vivre !

Melissa Maerz, journaliste dans le très réputé magazine américain Entertainment Weekly, l’écrivait récemment : « Ces bains de sang sont devenus tellement associés à de grandes séries que le créateur de True Detective s’est retrouvé dans la situation d’avoir à expliquer pourquoi il n’avait pas éliminé les protagonistes de sa série ! ». D’avoir à se justifier de ne pas tuer son personnage principal, c’est vraiment le monde des séries à l’envers !

Tuer, un gimmick contre le binge-viewving
Depuis quelques années, ce qui n’était utilisé qu’avec parcimonie par les scénaristes est devenu un vrai gimmick. Chaque nouvelle série se doit presque de sacrifier des personnages principaux dès ses premières heures. Le coup d’envoi a été donné avec Game of Thrones, qui fait un grand ménage dans ses personnages dès le milieu de la première saison et va même jusqu’à déstabiliser son public en éliminant celui que l’on croyait être le héros de la série ! Tout s’enchaine : on ne peut même plus s’attacher à un nouveau personnage, il ne va pas vivre assez longtemps pour cela ! Même s’il y a encore beaucoup à raconter sur lui, et même si les scénaristes pouvaient envisager de creuser encore plus sa personnalité, il est éliminé sur l’autel du choc, du buzz et de la tendance du moment.
L’argument est simple : pour lutter contre internet, la fiction se doit d’être aussi imprévisible qu’un show de télé-réalité, aussi évènementielle qu’une édition de The Voice ou qu’une finale de Top Chef : tout peut arriver ! Reporter à plus tard le visionnage d’un nouvel épisode peut signifier se faire spoiler le Red Wedding ! Depuis la saison dernière, tuer des personnages principaux est devenu une règle, un passage obligé et totalement artificiel. Etonnant que dans une époque où la créativité est en ébullition, on se donne ainsi de nouvelles contraintes.


Game of Thrones - Season 4- Trailer / Bande...par Lyricis

Une fois l’évènement passé, le buzz retombé et les tweets spoiler oubliés, il reste que la série ne ressemble plus à ce qu’elle était. J’attends avec crainte ce que la prochaine saison de Homeland nous réserve…

Alain Carrazé, directeur de 8 Art City

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