Le retour de (Canal) Jimmy

S’il est bien une chaine de télévision qui s’est bâtie une réputation quasi-mythique, c’est bien Canal Jimmy. À l’heure où les chaines portent des numéros, peu ont acquis une telle image et peuvent se vanter d’avoir, un temps, été des précurseurs. Mais depuis plusieurs années, la chaine Jimmy (qui a perdu son « Canal » entre temps) n’avait plus grand-chose à voir avec ses premières années et on ne donnait pas cher de sa peau. Aujourd’hui (enfin.. à partir du 18 février), un nouveau Jimmy débarque. Sera-t-il à la hauteur de l’original ?

La chaine des « ados attardés »
Dans les années 70, des milliers de petits fans ont été formés grâce à la mythique émission Samedi est à vous produite par Guy Lux et présentée par Bernard Golay. Elle proposait des heures durant des séries à la carte, comme Cosmos 1999 et Les Mystères de l’Ouest.
Deux décennies plus tard, une autre génération a eu droit à Canal Jimmy. Créée en 1990 par Michel Thoulouze et Pierre Lescure, l’idée initiale de Canal Jimmy était d’être une chaine faite par et pour les passionnés. Pour les fous de voitures anciennes, de country music, d’objets en bakélite, de cinéma vintage et rock’n’roll… et de séries télé ! La volonté de cette chaine (proposée sur le câble et le satellite à peine naissants) était de réunir tous ceux qui, d’habitude, ne regardaient pas la télévision parce qu’ils n’y retrouvaient pas ce qui les passionnaient. Ces sujets, jugés trop « segmentant » pour une large audience (comprendre : touchant un trop petit nombre de téléspectateurs) pouvaient fleurir ici. Pour symboliser cette thématique pas très facile à cerner, la chaine porte le prénom de ses deux pères spirituels : Jimi Hendrix et James « Jimmy » Dean.
Cette aventure (à laquelle j’ai eu la chance de participer) était inédite. J’en veux pour preuve l’émission Allo Jimmy : tous les 6 mois, les directeurs et animateurs répondaient en direct aux questions posées au téléphone par les téléspectateurs ; cela parait impensable de nos jours !

Friends et Les Soprano
À une époque où les séries n’étaient encore pour les chaines françaises que des programmes sous-estimés, destinés à remplir les grilles d’après-midi, Canal Jimmy a diffusé la plupart des productions étrangères que les autres chaines jugeaient trop décalées. Dream On, avec son éditeur obsédé sexuel, dont les pensées sont illustrées par des extraits de fictions noir et blanc, ou Angela 15 ans, dans laquelle Claire Danes (Homeland) campait une ado en proie à des angoisses existentielles, trouvaient naturellement leur place en soirée.
Très vite, Canal Jimmy est devenue la chaine ou l’on découvrait que les feuilletons télé pouvaient être des grandes séries, telles que NYPD Blue, Seinfeld, Profit, Friends… Jimmy innove : la chaîne généralise la version originale sous-titrée (initialement une mesure économique futée qui permettait de diffuser des séries inédites et pas encore doublées), lance des marathons et diffuse pour la toute première fois en France les Emmy Awards. Le mercredi soir devient la soirée Star Trek où toutes les séries de la saga sont diffusées. La chaine devient un label de qualité, l’endroit où l’on découvre des perles comme Father Ted et Spin City, comme Six Feet Under ou Les Soprano. Sa notoriété a été immense, inversement proportionnelle à son audience !

Dallas et Navarro

C’est pour augmenter son audience que Jimmy a progressivement changé de ligne éditoriale au début des années 2000. Après avoir été, le temps d’une saison, une chaine « gay-friendly », la programmation devient plus traditionnelle, avec des séries plus fédératrices pour un large public : la chaîne rediffuse alors Dallas, et Navarro arrive sur l’antenne ! Ce qui n’empêche pas des émissions ponctuelles comme Breaking News.
S’il est naturel et salutaire de faire évoluer une chaine de télévision, Jimmy s’est finalement perdue au fil des années. Et si l’exposition et l’impact surmultiplié des séries télé en France à la même époque, que l’on s’arrache désormais à grands coups d’accord-cadre, n’y est pas étranger non plus, ce n’est certainement pas la seule raison.

Ray Donovan et Dexter

Plutôt que d’arrêter ou de vendre purement et simplement la chaine, le groupe Canal+ a été décidé de repartir de zéro et de revenir, en quelque sorte, à ce qui était autrefois l’un des fondamentaux de la chaine : les séries télé. Aujourd’hui, la promesse éditoriale est de faire une sélection sur le critère, assez large, du anti-héros. Cela implique donc que la chaine va diffuser des productions avec des personnages forts et faillibles, de Dexter à Luther en passant par Nurse Jackie et House of Cards.
Pour ne pas être uniquement qu’une version supplémentaire de Canal+ Séries destinée aux abonnés câble-satellite, la chaine promet aussi 20 inédits par an. Elle démarrera le 18 février avec House of Lies, une comédie cynique avec Don Cheadle (Iron Man 2, Ocean’s Eleven). Le 31 Mars, ce sera le tour de Ray Donovan, une série où Liev Schreiber (Scream) partage son temps entre ses riches clients hollywoodiens qu’il doit protéger des embrouilles et sa famille dangereusement dysfonctionnelle. On verra aussi sur la chaine l’ultime saison de The Borgias (la version américaine) et The Bridge, l’adaptation US de Bron (qui avait déjà donné naissance à Tunnel sur Canal+).

L’intention est louable et la qualité, clairement présente, est toujours bienvenue. Mais dans un paysage audiovisuel où les séries sont maintenant omniprésentes, où l’amateur de petites perles comme celles-ci les capte immédiatement (de façon illégale via le net…) et les ingurgite en mode « binge viewving », le nouveau Jimmy va-t-il assez loin ? Pas de séries le lendemain de leur diffusion américaine, ni de programmation très différente des prime-time habituels (2 ou 3 épisodes par soirée), les marathons restant occasionnels. Pas d’émissions, pas de bonus…

Canal Jimmy, la chaine mythique, est « morte » à l’aube des années 2000. Jimmy, dans sa nouvelle incarnation, a-t-elle toujours sa place à la télévision ?

Alain Carrazé, directeur de 8 Art City
Crédits photos :
THE BRIDGE © 2013 FX Productions, Shine America
RAY DONOVAN © 2013 The Mark Gordon Company
HOUSE OF LIES © 2012 Cinema Vehicle Services, Crescendo Productions, Matthew Carnahan Circus Products, Refugee Productions, Showtime Networks, Totally Commercial Films