En série, BD n’est pas panacée

La semaine dernière, j’évoquais déjà l’une des tendances fortes de la prochaine rentrée : les adaptations de comic-books en séries télé. En additionnant le succès des films de super-héros avec le carton d’audience de l’adaptation télé de la BD The Walking Dead, les chaines se ruent littéralement sur tous les graphic novels, comic books et personnages possibles pour les adapter en série. À Agent of SHIELD et Arrow va s’ajouter Agent Carter, mais aussi Daredevil (avec Charlie Cox dans le rôle-titre), V Wars, iZombie, Constantine, Gotham, Iron Fist, The Flash, Clone, Luke Cage… La liste des productions en développement est gigantesque.



The Flash (2014) - Extended Trailer [VO-HD]par Eklecty-City
Le comic-book, poule aux œufs d’or
On a déjà vécu des saisons au cours desquelles les remakes faisaient la loi, ou encore durant lesquelles les séries fantastiques étaient légion. Il y a toujours deux éléments qui expliquent ces brusques tendances. Tout d’abord, la recherche d’un matériel prêt à être adapté, et si possible ayant déjà fait ses preuves : développer un concept de série télé de A à Z prend du temps, alors que reprendre une histoire déjà exploitée en BD permet d’aller plus vite dans la création de la trame et des personnages. De plus, à la différence des livres, la BD donne des éléments visuels qui aident beaucoup les concepteurs.
L’autre raison est plus prosaïque : tout ce qui marche est immédiatement reproduit ! À l’époque où The X-Files a explosé, on a ainsi vu fleurir une pléthore de séries du même type (Dark Skies, par exemple). Chacun tente de s’engouffrer dans le filon…

Super-gamelles
Mais est-ce un filon aussi rentable que cela ? Par le passé, peu d’adaptations télé de comics ont perduré. Une fois cités Batman, Wonder Woman, Superman et Hulk au rang des succès du passé, le comic-book est-il aussi incontournable que l’on veut bien le penser ?
Avec son concept hautement télévisuel, The Human Target est un personnage créé pour les comic-books par Carminer Infanto. Le personnage de Christopher Chance n’a ni costume, ni super-pouvoirs : en fait, il se substitue à une personne menacée de mort. Le comic-book a eu droit à deux tentatives d’adaptations, et autant d’échecs. Si la plus récente (avec Mark Valley dans le rôle principal) a tout de même duré 2 saisons (que l’on a pu voir sur TF1), la première adaptation de 1992 (avec Rick Springfield !) n’a duré que 7 épisodes.
Créé en 1995, le comic-book Painkiller Jane a été adapté à la télévision en 2007, mais les exploits de cette flic badass douée d’un pouvoir de régénération n’ont pas dépassé une unique saison. Et de Witchblade à Blade, en passant par la pathétique version télé de Flash Gordon dans les années 2000, les exemples sont très nombreux. Même une adaptation télé du comic-book Jon Sable a échoué en 1987.


1992.Human Targetpar kahramanlarsinemada

Créations originales
Dans le cas des adaptations, l’échec peut parfois s’expliquer par un manque de fidélité au matériau d’origine. Alors qu’en est-il des séries télé dont le super-héros n’est basé sur aucune bande-dessinée en particulier ? Malheureusement, le constat d’échec est le même.
Vous souvenez-vous de The Cape en 2011, avec son flic qui prenait l’apparence du super-héros préféré de son fils ? Non ? Normal, cette série - pourtant lancée dans la foulée de Heroes - a été un échec retentissant. Tout dans cette production respirait le passé, de la mise en scène aux intrigues.
Once a Hero, lancée à la rentrée 1987, retraçait les aventures d’un créateur de super-héros qui plongeait dans le monde de ses comics. La série a été l’une des premières annulations de la saison et ne totalise que 7 épisodes !
Produite par Sam Raimi (les films Spider-Man), la série M .A.N.T.I.S. avait pour héros un personnage paraplégique qui devenait surpuissant grâce à son costume (ne riez pas : Daredevil est bien aveugle…). Cette série de 1994 n’a duré qu’une seule saison.
Et que dire de Nightman, pourtant initiée par Glen Larson (Magnum, Supercopter) d’après un personnage des comics Malibu ? Ou même d’Automan, du même Glenn Larson, qui, si elle reste culte en France pour une poignée de nostalgiques, demeure un échec considérable ?


The Cape Trailerpar kahramanlarsinemada

L’âme des héros de papier
Outre la difficulté de recréer de façon concrète et réaliste un univers de comic-book, la vraie différence se joue clairement dans la psychologie des personnages. Si L’Incroyable Hulk, tout comme The Walking Dead, fonctionnent si bien, c’est parce que le conflit et les angoisses vécus par les personnages à l’origine de la narration. Le reste (les zombies, les superpouvoirs…) n’est que de l’habillage.
Dans une série télé, encore plus que dans un comic-book, le téléspectateur veut être impliqué au côté du personnage principal, quitte à se demander comment il réagirait dans la même situation. Pour arriver à cela, il faut évidemment (comme pour toute bonne série !), la vision d’un scénariste et pas uniquement un concept déjà efficace en librairie.
Il faut donc s’attendre à ce que bon nombre des projets annoncés ne rencontrent ni le public assidu du comic-book originel - trop dérouté par une adaptation qui ne sera pas fidèle -, ni un public plus large, qui ne s’impliquera pas dans les personnages. Et au milieu de tout cela se niche sans doute une série qui saura nous surprendre.

Alain Carrazé, directeur de 8 Art City

Crédit photo : © NBC Universal