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Broadchurch : pourquoi aussi peu de séries britanniques sur les grandes chaînes françaises ?

Lundi prochain, France 2 fait un « coup » en programmant les 8 épisodes de Broadchurch, trois lundis de suite, en rafale. Thriller vertigineux, cette série britannique a fait un véritable carton en Grande-Bretagne lors de sa diffusion sur la chaine privée ITV (près de 10 millions de téléspectateurs). Des récompenses comme les Broadcast Awards, des critiques enthousiastes à travers le monde, une sortie DVD et Blu-ray dans la foulée de la diffusion sur France 2… et des adaptations prévues aux États-Unis (sous le titre de Gracepoint) et même en France.
Pourtant, en étant diffusée sur France 2, Broadchurch fait presque figure d’exception.

Twin Peaks en Grande-Bretagne

Broadchurch est une enquête dans la lignée des séries nordiques comme The Killing ; le créateur et scénariste Chris Chibnall reconnait d’ailleurs volontiers l’inspiration. Un crime particulièrement révoltant a été commis : le jeune Danny Latimer, 11 ans, est retrouvé mort au pied d’une falaise. C’est cette seule enquête qui va lentement mais implacablement se dérouler et qui trouvera sa résolution à la fin de la première saison.
Outre les séries scandinaves, Broadchurch emprunte aussi à Twin Peaks dans sa thématique centrale : un meurtre va secouer une communauté jusque-là très paisible. Inspirée par les villes côtières du Sud de l’Angleterre (Chibnall a passé son enfance à Dorset), la petite bourgade de Broadchurch va donc être soumise aux suspicions, à l’afflux des médias venus couvrir ce meurtre horrible, et à l’arrivée d’un policier. En charge de l’enquête, Alex Hardy (incarné par David Tennant) doit non seulement faire équipe avec Ellie, la sergent dont il vient de rafler la promotion, mais il doit aussi gérer ses propres casseroles : une précédente enquête qui a tourné au désastre et une santé délicate.
Fausses pistes, indices inquiétants, suspect désigné par la vindicte populaire… la série progresse vite jusqu’à un épisode final totalement bouleversant qui vous clouera sur votre fauteuil. Rarement une série aura aussi bien mérité l’idée de la consommer en « binge viewing », via son Blu-ray. Une saison deux, annoncée comme totalement différente, a été commandée par ITV, même si on a du mal à imaginer une suite ! Le créateur lui-même a reconnu que la série n’avait pas été conçue pour cela.

Adaptées mais peu diffusées

Cela fait maintenant plus d’une décennie que les productions anglaises font la pluie et le beau temps dans les télévisions du monde entier : on ne compte plus les adaptations américaines, et des séries comme Life on Mars, Doctor Who ou Downton Abbey sont de véritable phénomènes. Alors pourquoi n’en voit-on pas plus souvent en prime time sur les grandes chaines françaises comme France 2 ?
Sur la chaîne la plus regardée du service publique, la case du lundi soir est généralement occupée par une série américaine très formatée : Castle ou Rizolli & Isles. Meurtres au Paradis, diffusée l’été dernier sur France 2, est un cas à part, puisqu’il s’agit d’une co-production avec la chaîne.
La tentative d’insérer Broadchurch est donc courageuse, si on s’en tient aux méfiances habituelles des chaines françaises pour les séries anglaises.

Les séries britanniques : "elles causent trop ! "
Quand on leur parle de séries britanniques, les remarques qui reviennent le plus souvent dans la bouche des responsables des chaines françaises sont de deux ordres. D’abord, le trop petit nombre d’épisodes : à quoi bon casser sa grille pour 6 ou 8 épisodes d’une série, alors que les américains en produisent 22 par saison ?
À cette loi du plus grand nombre s’ajoute la réputation des séries anglaises, perçues comme « bavardes » : alors qu’une série policière américaine va toujours comporter quelques scènes d’action, les séries anglaises privilégient les dialogues, notamment pour des raisons évidentes de budget. Les décennies passées ont tendances à valider ce point de vue. En effet, les seules séries britanniques à avoir franchi la Manche avec succès étaient justement celles qui étaient, dès l’origine, bâties pour coller le plus possible au format américain : Amicalement Vôtre avec son duo anglo-américain, les bagarres de Destination Danger, les poursuites des Professionnels ou le tandem de Mission Casse-cou.
Mais les temps ont changé et les séries ont évolué, bien loin de la carte postale simpliste à laquelle on a voulu les associer. La frontière entre production américaine et production britannique devient plus floue, tant la tendance est aux séries avec une longue intrigue à suivre, privilégiant le thriller psychologique (comme Homeland ou The Americans) à l’action pur et simple.

Doctor Who et Downton Abbey sur la TNT
Le plus gros succès international de la BBC est Doctor Who, diffusé chez nous sur France 4, une chaîne qui cible les 15-25 ans. France 3 se cantonne aux séries britanniques policières plus traditionnelles, comme Inspecteur Barnaby ou Les Enquêtes de Morse, qui correspondent à son public plus âgé du dimanche soir.
Pour le reste, on trouve les meilleures séries anglaises sur des chaines du câble et de la TNT : le groupe TF1 a bien fait l’acquisition du phénomène mondial qu’est Downton Abbey, mais il l’a destiné à TMC (les rediffusions sur HD1 n’ont pas fonctionné). De même, Call the Midwife (l’histoire d’une sage-femme dans les quartiers protestants du Londres du siècle dernier) sera proposé sur D8 à partir du 14 février ; même si son sujet peut ne pas être du goût de tout le monde, on ne peut que reconnaitre son originalité.
Reste Sherlock : la brillante série avec Benedict Cumberbatch passe d’abord sur France 4 (la chaine qui la diffuse initialement) puis sur France 2, qui la reprend quelques mois plus tard.

Espérons donc que cette diffusion de Broadchurch sur France 2 soit un succès qui incite à renouveler le plus souvent possible la diffusion de séries britanniques de haute volée.

Alain Carrazé, directeur de 8 Art City

Crédit photo : Patrick REDMOND - © ITV Plc