Borgen : quand la saison 3 relance tout

Birgitte est de retour ! Plus que jamais, sa série porte bien son nom : « Borgen » signifie littéralement « le château », le surnom du siège du Parlement danois, avec les bureaux du Premier Ministre. Ce « château », Birgitte Nyborg, le personnage central de cette série qui reprend ce soir sur Arte, va partir à sa conquête.

Une femme au pouvoir
C’est la troisième et toute dernière saison pour cette production marquante, auréolée de nombreux prix. C’est aussi l’un des plus beaux exemples de la renaissance de la fiction danoise, particulièrement prisée ces dernières années, avec des séries aussi marquantes que The Killing.
Le thème de Borgen est des plus intéressants : les coulisses du pouvoir politique, vues à travers le regard d’une femme. Tout d’abord à la tête d’un parti politique du centre, elle se retrouve projetée au plus haut poste puisqu’elle devient Premier Ministre dès le début de la série. Les deux premières saisons nous avaient montré comment elle devait agir à la tête du gouvernement, face à des situations ambiguës, et des alliances quelquefois difficile à respecter. Passionnante, même si on n’est pas incollable sur le système politique danois (!), Borgen raconte avant tout le parcours d’une femme, avec ses choix et leurs répercussions au niveau politique et social, mais surtout sur le plan personnel ; la vie de famille de Nyborg tient en effet une place importante dans la série.

Des bases entièrement nouvelles
On pensait avoir fait le tour de la question en deux saisons, mais une troisième et toute dernière saison a été mise en chantier. Son parti pris ? « Rebooter » littéralement la série !
Birgitte n’est plus Premier Ministre et n’est même plus impliquée directement dans la vie politique. De plus, elle n’est même plus mariée à Phillip. Katrine, la journaliste télé implacable, est elle aussi séparée de Kasper mais élève son fils. Pourquoi donc de tels changements ? Pour mieux repartir sur de nouvelles bases, car telle est la recette d’un « relaunch » : tout changer pour relancer les histoires.
Assez finement, Adam Price, le créateur de Borgen, a décidé de ne pas refaire subir à ses personnages le même chemin que dans les saisons précédentes. Il préfère montrer un nouvel aspect du pouvoir. En effet, suite au changement de cap idéologique du parti politique dont elle était le leader, Birgitte Nyborg décide de revenir sur le devant de la scène ; après une tentative infructueuse d’inverser l’orientation de son parti, elle décide d’en créer un nouveau ! Une situation assez improbable, certes, mais qui a le mérite de permettre aux scénaristes de montrer la construction chaotique d’un parti : les pièges populistes dans lesquels Birgitte pourrait tomber, les personnalités quelquefois controversés auxquels elle devra peut-être s’associer, les étapes à franchir pour que ses idées aient un poids sur l’échiquier du pouvoir et les efforts qui seront faits pour tenter d’entrer à nouveau au Château.
Sur un plan plus personnel, Nyborg ne brigue pas le pouvoir mais veut faire passer ses idées. Elle est à nouveau liée à un homme mais elle va le dissimuler. Elle demande enfin à Katrine de la rejoindre en tant que responsable de sa communication et membre fondateur de son nouveau parti. La jeune femme va donc quitter sa chaine au pire moment, alors qu’un nouveau responsable, plus jeune et plus orienté sur le marketing et les audiences, vient d’être nommé.
Au bout des 10 épisodes de cette saison 3, nous verrons ce que l’avenir réserve à chacun des protagonistes, avec bien sûr des rebondissements et situations improbables, qui servent à mettre les personnages face à de nouveaux choix.

Les avantages du « relaunch »
Pour une série déjà bien établie, repartir à zéro avec des bases différentes, est, certes, un pari (les téléspectateurs ne vont-ils pas être déroutés ?) mais cela a aussi deux énormes avantages.
Scénaristiquement, cela permet de lancer toute une nouvelle toile d’intrigues, de partir dans d’autres directions, d’autres rebondissements et de faire réagir les personnages à des situations différentes. Pour une série qui risquerait de s’essouffler ou qui peine à se renouveler, c’est l’idéal.
Cela permet aussi d’ouvrir en grand la porte à de nouveaux téléspectateurs. Nul besoin d’avoir vu les saisons précédentes pour comprendre les nouveaux épisodes. C’est un atout majeur.
Le « reboot » a été systématiquement pratiqué par 24 Heures Chrono, par exemple : à chaque saison sa nouvelle histoire, avec de nouveaux ennemis et de nouveaux enjeux, y compris pour les personnages (la fille de Jack Bauer s’est par exemple retrouvée employée au sein de l’unité anti-terroriste au cours d’une saison !). La série Alias a aussi tenté le pari du « relaunch » lors d’un épisode crucial, programmé juste après la finale du Superbowl : quoi de mieux pour attirer de nouveaux téléspectateurs ? D’autres séries ont tenté de se renouveler en pratiquant un saut dans le temps, comme Desperate Housewives qui a sauté 5 années entre les saisons 4 et 5, histoire de placer les héroïnes dans des situations différentes. Avant Borgen, la mythique série The West Wing avait décidé, pour ses dernières saisons, de se focaliser sur la campagne électorale de Santos, probable successeur du Président Bartlett.

Le reboot de la dernière chance

Bien d’autres « reboots » sont effectués par énormément de séries, mais pour la plupart ils ont pour but de rendre populaire une série qui ne l’est plus, en l’orientant vers une autre direction que l’on imagine plus rassembleuse. Si peu de titres vous viennent à l’esprit, c’est parce que la plupart de ces tentatives se sont soldées par des échecs, et ces séries ont sombré dans l’oubli. L’un des reboots les plus spectaculaires a été celui de Falcon Crest : lors de sa dernière saison, ce soap familial est devenu un thriller se déroulant dans le monde des affaires ! Et quand on ne change pas de thème, ce sont la totalité des personnages qui sont changé, comme cela a été le cas lors de la dernière saison de The Practice : tout le casting a été viré, et les nouveaux personnages de l’ultime saison ont ensuite eu droit à leur propre série, Boston Justice.

Pour Borgen, nul besoin de sauver les meubles en faisant atterrir des extra-terrestres ou autres délires. La série se termine bien là, de la façon la plus parfaite possible.

Alain Carrazé, directeur de 8 Art City

Crédit photo : © Mike Kollöffel