Publicité

Du rififi chez Barnaby !

Et si Inspecteur Barnaby, la traditionnelle et bien innocente série de France 3, ne l'était pas tant que ça ? Depuis quelques jours, la série est dans la tourmente suite aux affirmations de son créateur, Brian True-May. L'avez-vous remarqué : le petit village où tous les meurtres ont lieu n'a aucun habitant de couleur. Aucune ethnie. Et d'après True-May, ce n'est pas un hasard : ce serait totalement voulu et souhaité par lui. Suspendu après ces déclarations, il vient d'être définitivement limogé. Doit-on voir un racisme exacerbé chez le flic tranquille des soirées télé ?

À 65 ans, Brian True-May est un producteur heureux : sa série Inspecteur Barnaby rassemble jusqu'à six millions de téléspectateurs en Grande-Bretagne et est une valeur sûre des grilles de prime time de France 3. Depuis son démarrage en 1997, la série en est à sa quatorzième saison, compte plus de 80 épisodes et est vendue dans 231 territoires à travers le monde.

Sauf que le monsieur vient de révéler un élément constitutif de sa série qui n'est pas du goût de tout le monde. Lors d'une interview donnée il y a quelques jours au magazine télé anglais Radio Times, il a expliqué que, selon lui, si aucun personnage de couleur ne figure jamais au générique de la série, c'est totalement voulu et revendiqué.

Toujours d'après Brian True-May, si des blancs, des asiatiques ou des pakistanais étaient présent dans la série, « ça ne serait plus le village anglais typique. Ça ne fonctionnerait plus. On serait alors, non pas à Causton, mais à Slough. » True-May évoque là une ville britannique à forte mixité. « Et ironiquement, à Slough, vous ne verrez pas de blancs ! Nous sommes le dernier bastion de l'Angleterre traditionnelle, et je tiens à ce que cela continue comme ça ! » Et d'ajouter que « je produis une série qui fonctionne bien avec un certain type de public. Avoir d'autres ethnies serait hors de propos. » Malaise…

En bref, l'une des raisons qui contribuerait au succès international de la série serait l'absence d'ethnies ! Déjà, en 2006, le problème avait été soulevé suite à un sondage qui montrait qu'Inspecteur Barnaby était fortement détestée par les téléspectateurs appartenant à une minorité ethnique. « Ce n'est pas une grande surprise que ces gens n'aient pas envie de regarder une série qui les exclut », affirmait alors l'un des représentants d'une association pour la lutte contre les discriminations.

Immédiatement après les propos de True-May, le directeur de la chaîne ITV - qui diffuse la série en Grande-Bretagne - a demandé à la société de production que le scénariste soit suspendu de ses fonctions. « Nous sommes choqués par ces commentaires et opinions, que nous ne partageons d'aucune façon », a déclaré un porte-parole de la chaîne, très embarrassé. L'autre co-créateur de la série s'est, lui, carrément désolidarisé, insistant sur le fait que personne, parmi ceux qui travaillent sur la série, n'a jamais eu d'attitude raciste.

La situation est-elle nouvelle ? Non, mais pas de façon aussi assumée. Pendant des années, le producteur de Chapeau melon et bottes de cuir a clairement indiqué que sa série ne devait avoir aucun lien avec une réalité sociale, ethnique ou autre. Pour lui, les exploits de John Steed et Emma Peel se déroulent dans un monde tellement suranné, tellement intemporel et surtout fantastique, qu'il n'y a jamais personne dans les rues, que les routes de campagne sont vides et que jamais aucun scénario ne fait référence à une quelconque situation contemporaine. Ce que l'on peut comprendre dans une série « imaginaire » est pourtant moins acceptable dans une série réaliste et policière.

Devant cette polémique, True-May s'est excusé et est revenu sur la portée de ses propos, arguant qu'ils ont été mal interprétés, allant jusqu'à prendre une posture de victime ! Mais une sanction plus définitive a été assénée hier : Brian True-May a été viré, ni plus ni moins, et devra quitter la série dès la fin de la production de la saison en cours.

Les derniers épisodes en date, qui viennent juste d'être diffusés en Grande-Bretagne, ont vu le départ (prévu depuis plusieurs mois) de l'acteur vedette John Nettles, qui incarnait l'inspecteur Barnaby depuis quatorze ans. Il a été remplacé par Neil Dudgeon, dans le rôle du cousin de John Barnaby. Très gêné par la controverse, ce dernier refuse de s'exprimer : « Cette série est un succès phénoménal. Si personne ne veut que ça change depuis quatorze ans, il n'y a pas de raison que les gens veuillent que ça change aujourd'hui. »

Contacté par mes soins, France 3 est bien embarrassée par cette situation qu'elle découvre. La chaîne va-t-elle déprogrammer la série ? Quelle attitude avoir devant une situation qui éclate, maintenant, au grand jour ? Peut-on laisser à l'antenne, sans réagir, une fiction qui repose sur un postulat douteux, de l'aveu même de son créateur ? Quel message donne-t-on à ses téléspectateurs : les laisser contempler leur série favorite, faire l'autruche, ou réagir (sans pour autant censurer) ?

Voici, en exclusivité, ce que la chaîne déclare sur cette affaire :
« France 3 se déclare surprise et choquée par ses propos qui n'engagent que sa personne », dit la chaîne via sa responsable des relations presse en évoquant le créateur de la série. Et de poursuivre : « Barnaby a été choisi non pas pour son casting mais pour ses qualités d'enquêtes et de ressorts psychologiques des personnages qui correspondent à son offre série anglaise du dimanche. ». Et de réaffirmer sa position : « France 3 assure, à travers ses informations, ses fictions propres (Plus belle la vie, Famille d'accueil...) et ses programmes, ses missions de diversité et de sensibilisation aux sujets de société au sens de sa ligne éditoriale du vivre ensemble. »

Outre cette position du diffuseur, la question est clairement posée, et prend une toute autre dimension en cette période électorale où la polémique sur les scores du FN fait rage : une série doit-elle flatter consciemment des idées rétrogrades et conservatrices ? Doit-elle en faire un argument de vente ? Non, bien sûr. Et pourtant, qui l'avait remarqué jusqu'alors ? C'est sans doute là aussi qu'est le vrai problème : quand une telle situation passe inaperçue, cela en dit long sur la capacité d'acceptation du public pour une situation somme toute aberrante et grossièrement raciste.

Alain Carrazé, directeur de 8 Art City

Crédit photo : All 3 Media International