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The Walking Dead : quand les séries ne tournent pas rond

C'est la série-choc du moment et elle n'est pas à mettre devant tous les yeux. The Walking Dead, ou la saga d'un petit groupe de survivants au beau milieu d'un monde envahi par les zombies, vient de reprendre sur Orange cinéma séries, depuis dimanche dernier. Adaptée des comics de Robert Kirkman, Tony Moore et Charlie Adlard, la série entame en France la deuxième partie de sa saison 2.

Ces six épisodes (sur un total de 13) viennent tout juste d'être diffusés aux États-Unis. La chose la plus étonnante avec cette production gore - mais qui fait la part belle à la psychologie des personnages, obligés de s'entendre pour survivre - est sans doute son audience, qui bat souvent des records. Même avec un thème assez « segmentant », comme disent les analystes télé (en clair, ça touche un public assez ciblé) et même avec une diffusion outre-Atlantique sur une chaine du câble (AMC), le premier épisode de cette deuxième moitié de saison a réuni quelque 7,3 millions de téléspectateurs américains. Mieux, le dernier, diffusé il y a moins d'une semaine, a pulvérisé ce record avec 9 millions de téléspectateurs. C'est carrément 50 % de plus que la saison précédente ! Pour la chaîne, habituée aux 2,3 millions de fans de Mad Men et aux 4,3 millions d'accro à Breaking Bad, de tels chiffres sont inespérés. Tout va donc bien pour The Walking Dead, avec une troisième saison déjà commandée, qui comptera 16 nouveaux épisodes, soit trois de plus que celle-ci.

Sauf que, en coulisses, The Walking Dead navigue avec une plaie béante qui peine encore à cicatriser : le départ soudain de Frank Darabont, son concepteur et producteur d'origine. L'annonce tombe le 25 juillet dernier, soit trois jours après une promotion intensive au Comic Con de San Diego ! Remplacé par Glenn Mazzara, qui travaillait déjà à ses côtés, Darabont avait déjà assuré huit des 13 épisodes de la saison 2.

Toute l'équipe de la série est sous le choc d'un tel renvoi, et la chaîne essuie une volée de critiques extrêmement virulente. Pour beaucoup, le très volubile réalisateur n'a pas accepté les coupes drastiques que la chaîne lui demandait de faire, des demandes d'autant plus incompréhensibles que l'on peut plutôt s'attendre à avoir plus de moyens après un tel succès… et pas l'inverse.

Mais AMC avait failli voir s'envoler Breaking Bad et venait de mener d'interminables négociations avec le créateur de Mad Men. Cette dernière a-t-elle siphonné tout le budget restant ? Les constantes demandes pour faire des économies (moins de jours de tournage en extérieur, moins de zombies à maquiller…) ont-elles fâché le producteur ? Incapable de gérer son soudain succès, la chaîne commet des bourdes « diplomatiques », conduisant au départ de Darabont.

Des clashs de ce type, il s'en produit souvent dans les coulisses des séries télé. Très récemment, la prestigieuse chaîne HBO, véritable Rolls-Royce du câble américain, a définitivement stoppé le tournage de la saison 2 de Luck, l'un de ses gros projets. Dustin Hoffman en est la vedette ! David Milch (Deadwood) et Michael Mann (Heat), les deux producteurs de la série, ont annoncé qu'ils jetaient l'éponge… suite à la troisième mort d'un cheval sur le tournage. La série se déroule en effet dans le milieu des paris hippiques. Ils jettent ainsi par la fenêtre un épisode en cours de production, d'autres déjà écrits, des contrats déjà signés avec les acteurs, etc…

Officiellement, c'est sous la pression de la PETA (une sorte d'équivalent américain de la SPA) et devant un cauchemar médiatique potentiel que les responsables de Luck ont décidé de mettre fin à la série. Ses audiences décevantes n'ont rien à voir avec cette décision, nous dit-on. Curieux de constater que la mort de chevaux peut conduire à l'annulation d'une série, alors que sur d'autres séries, la mort d'un acteur vedette entraîne juste son remplacement !

The Walking Dead est un succès incroyable et on comprend mal pourquoi une chaîne met ainsi en péril sa poule aux œufs d'or. Mais les précédents existent : sur NCIS, le producteur Don Bellisario, déjà bien connu pour ses succès comme Code Quantum, JAG ou Magnum, a dû quitter son poste. C'était lui ou un acteur de la série. Ce fut lui… La nouvelle série de M6, Blue Bloods, a été créée par un duo d'auteurs qui ont déjà travaillé sur des séries comme Les Soprano : Mitchell Burgess et Robin Green. Plus la saison 1 avançait, moins ils étaient en accord avec l'orientation que la chaine donnaît à leur création : trop d'enquêtes policières et plus assez de développement des personnages. Résultat : ils ont quitté la série qu'ils ont contribué à lancer !Même chose pour le projet de série adaptée des films Le Transporteur. Avec un budget de 3,3 millions de dollars par épisode, on est bel et bien dans une série « lourde », qui vise l'international. Pourtant, les deux premiers producteurs exécutifs ont rapidement et brutalement quitté le projet. À peine en place, leur remplaçant, Steve Shill, a, lui aussi, quitté aussi le navire…

On le sait bien, dans une série télé, la force créatrice la plus importante est le showrunner (c'est-à-dire celui qui est à la fois le scénariste principal et le producteur exécutif). Son départ signifie que la série change de point de vue. Et cela impacte automatiquement toute la série, de façon plus subtile que si un acteur partait, certes, mais en profondeur. Si le ton et le style d'une série change, c'est tout son avenir qui est remis en cause. Pas étonnant que sur des projets en perte de vitesse, comme les récents Terra Nova et The Event, les showrunners se succèdent… Dans ces deux cas en pure perte car les séries ont été annulées.

Apparemment, The Walking Dead se satisfait très bien du départ de Frank Darabont. C'est sans doute avec sa saison 3, une saison qu'il n'aura pas préparée du tout, que cela se confirmera ou pas.

Alain Carrazé, directeur de 8 Art City

Crédit photo : © Matthew Welch/AMC