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Tunnel : quelle originalité pour cette adaptation ?

Une fois de plus, une série de Canal+ va vous entrainer dans un univers sombre et angoissant. Dans la droite lignée des thrillers étouffants et moites comme Engrenages, voici Tunnel, une nouvelle « Création Originale », comme la chaine cryptée les labellise. La série sera lancée le lundi prochain (mais le premier épisode est déjà visible sur le site de la chaine). Mais, dans ce cas précis, le terme de « Création Originale » s’applique-t-il vraiment ?

Des deux côtés de la Manche
Le « tunnel » du titre, c’est le tunnel sous la Manche, où le cadavre d’une jeune fille est retrouvé. À l’exacte frontière entre la France et le Royaume-Uni, coupé en deux… et pas simplement par une ligne imaginaire ! Ce crime étrange va nécessiter l’association de deux enquêteurs, un de chaque pays. Karl (Stephen Dillane, Game of Thrones) et Elise (Clemence Poesy) vont devoir travailler ensemble, partager leur culture, leur langue, leurs convictions et leurs doutes, pour faire face à un personnage machiavélique, porteur d’une mission.
En miroir de cette histoire de duo international, la série est elle-même une co-production entre deux pays : la France avec Canal+ et le Royaume-Uni avec Sky Atlantic. Côté britannique, la société de production Kudos est notamment à l’origine de la série d’espionnage MI-5.

De Bron à Tunnel
Sauf que l’histoire de Tunnel trouve en fait son origine dans une autre série : Bron. Cette co-production entre le Danemark et la Suède raconte elle aussi l’histoire d’un cadavre découvert à la frontière entre deux pays, cette fois sur un pont ! Déjà, deux enquêteurs devaient partager leur culture et leur mode de vie dans le but de traquer le criminel.
Bron a tellement marqué qu’avant Tunnel, une autre série a déjà a repris son histoire ! The Bridge en est l’adaptation américaine : dans cette version, le cadavre est découvert à la frontière entre le Mexique et les États-Unis.
Lorsque je l’ai rencontré à l’occasion d’une masterclass sur les fictions nordiques, Lars Blomgren, le producteur de la série originale, m’a parlé de ces différentes versions pour lesquelles il a vendu les droits : « J’ai clairement très, très peur que les gens voient plusieurs fois la même histoire » m’a-t-il expliqué en mars dernier. « J’ai vu ce que les américains voulaient faire et j’ai lu la versions franco-anglaise. Le concept et l’histoire de base ont beau être les mêmes, je ne pense vraiment pas que cela sera un problème. L’histoire, la distribution… tout est différent. La façon dont sont transformés notre réalité et nos problèmes sociaux, qui sont en toile de fond de Bron, dans la réalité franco-anglaise est totalement étonnante. »
Différent ? Peut-être pas tant que ça. En plus du point de départ, les deux premiers épisodes de Tunnel reprennent les mêmes rebondissements, au plan près. Les producteurs français devaient-ils pour autant se priver de ce qui avait tellement bien fonctionné ailleurs ? Ce discours, je pensais plutôt l’entendre à propos de formats télévisuels comme des jeux ou des émissions de télé-crochet, où l’on reprend à la lettre une mise en scène qui a fait ses preuves.

Une transposition sans éclat
Au final, Tunnel est clairement un honnête thriller, sans fulgurance et très convenu. Cette série s’adresse en fait à la grande majorité des téléspectateurs qui n’auront vu aucune des précédentes versions. Cette stratégie est d’ailleurs très clairement confirmée par les producteurs de cette version franco-britannique. De toute façon, à moins de faire appel à des visionnages illégaux, vous aurez peu de chance de les voir avant Tunnel. C’est en fait la même chaine, Canal+, qui a fait l’acquisition des droits de diffusion de la série originale et qui la tient « au frais » ! Le but est clair : éviter qu’une autre chaine (au hasard, Arte) ne diffuse cette autre version avant eux !
Une fois Tunnel diffusé, il est très probable que Bron fasse son apparition sur Canal+ Séries. On se souvient que la même tactique avait été utilisée pour Borgia : la version américaine, avec Jeremy Irons, avait aussi été acquise par la chaine cryptée, qui l’avait ainsi verrouillée pour qu’elle ne fasse pas d’ombre à sa grosse production maison, écrite par Tom Fontana.
Les propos des producteurs de Tunnel sont très clairs : adapter une production déjà existante permet de gagner un temps considérable. Concept, scénarios et personnages : tout est déjà écrit, même si Ben Richards a bien sûr dirigé une équipe de scénaristes franco-anglais. Le même argument avait été avancé, à juste titre, par TF1 quand la chaîne s’était lancée dans les séries de 52 minutes avec des adaptations de séries étrangères, pour produire RIS et Paris Enquête Criminelle notamment.
Au final, peut-on parler d’une bonne série ? Vous passerez un excellent moment avec Tunnel… si vous n’avez pas déjà vu les autres versions. Par contre, le label « Création Originale » est clairement inapproprié.

Alain Carrazé, directeur de 8 Art City

Crédit photo : © Jessica Forde / Canal+