Tony n’est plus

C’est la nouvelle à propos de laquelle je n’aurai jamais imaginé écrire : James Gandolfini est décédé ce mercredi, apparemment d’une attaque cardiaque, pendant un séjour à Rome. Né le 18 septembre 1961, il avait 51 ans.

James était, bien sûr, la vedette de la mythique série Les Soprano, dans laquelle il tenait le rôle de Tony Soprano, le fils de mafieux à la tête de l’entreprise criminelle familiale, dans le New Jersey. La série (actuellement diffusée sur OCS) a contribué à mettre sur orbite la chaîne américaine HBO en lui permettant de capter un public plus exigeant et de réunir jusqu’à 18 millions de téléspectateurs pour une série originale.

Un chef d’œuvre télévisuel

Produite de 1999 à 2007 et comptant quelque 86 épisodes, Les Soprano, si elle est peu connue du très grand public, est considérée comme un chef d’œuvre, l’une des séries les plus novatrices jamais produites. Elle a considérablement changé les normes d’écritures pour la télévision, tout en prouvant qu’il existait un public pour les séries du câble. Mad Men, Dexter, Six Feet Under ou encore Breaking Bad (voire même le modèle des productions originales de Canal+, avec entre autre la série Mafiosa) doivent leur existence au succès phénoménal des Soprano.

David Chase, le créateur et showrunner de la série, a choisi de mettre à sa tête un virtuel inconnu. Jusqu’à lors, James Gandolfini n’avait tenu que des seconds rôles de méchants et pourtant, sans être « bankable », il devient une tête d’affiche. Chase avait senti dans le physique bourru et le regard de Gandolfini le personnage mal dans sa peau, en proie à des crises d’anxiété et obligé de consulter une psy en secret… tout en étant capable de tuer quelqu’un de ses propres mains.

Aujourd’hui, Chase qualifie Gandolfini de « génie » et de « meilleur acteur de tous les temps ». Une chose qu’on ne peut qu’approuver quand on voit l’interprétation subtile et recherchée de James. Pour cela, il avait remporté trois années de suite l’Emmy Award du meilleur acteur dans une série dramatique.

L’homme derrière Tony Soprano

La première fois que j’ai rencontré James, il était aussi maussade que Tony Soprano. Il arrivait de Londres en compagnie d’autres membres de l’équipe (dont David Chase et Michael Imperioli). Là-bas la promotion ne s’était pas bien passée et il ne pensait qu’à repartir aux États-Unis. 24 heures plus tard, tout avait changé. L’ambiance était au beau fixe, il avait accepté de donner une interview pour la 200e de « Destination Séries » et on refaisait le monde durant des dîners homériques.

Je découvrais alors dans son regard et son énigmatique sourire un peu de la vulnérabilité de Tony Soprano. Quelques mois plus tard, je le retrouvais sur le tournage de la série où ils m’avaient tous invité. Et je me souviendrais encore longtemps de la stupéfaction du caméraman américain qui travaillait aux côtés de mon réalisateur Philippe Appieto, quand, devant le porche de la résidence Soprano et vêtu d’une robe de chambre, Gandolfini est venu nous faire un « hug ». La série était habituellement « off limits » pour tous les journalistes et James ne donnait jamais d’interview.

Une star qui refusait de l’être

À l’opposé d’une diva, James était tout simplement quelqu’un de timide. Il n’était pas sûr de lui, persuadé que ce qu’il avait à dire n’intéresserait personne. Pour gagner sa confiance, il fallait être aussi franc qu’il l’était. James était le comédien le plus humble qu’il m’a été permis de connaître et traitait tout le monde dans l’équipe sur un pied d’égalité. Doté d’un appétit gargantuesque, je le voyais dévorer des linguinis pour le tournage d’une des mémorables scènes dans l’arrière-boutique du Pork Store, refaire la scène cinq ou six fois… pour ensuite partir déjeuner ! L’accessoiriste m’avait même confié qu’une fois, James avait jeté son dévolu sur un plat qui devait servir dans une prochaine scène ! Très rigoureux, Gandolfini quittait la table du dîner quand l’heure se faisait tardive, histoire d’être reposé pour le tournage du lendemain.

Gandolfini n’a pas profité de son statut de star pour devenir vedette de blockbuster. Il avait produit des documentaires et des mini-séries, et avait joué aux côtés de Brad Pitt et Julia Roberts dans le film Le Mexicain. Il se souvenait aussi très bien de son précédent séjour en France, pour le tournage du film d’Alain Corneau Le Nouveau monde, dans lequel il jouait l’un des militaires américains de la base française qui fascine le jeune héros du film.

James Gandolfini était loin d’être un homme parfait. Il était tout simplement un acteur prodigieux et un remarquable être humain.

Alain Carrazé, directeur de 8 Art City

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