Terra Nova : un faux pas pour Spielberg

Terra Nova démarre sur Canal + tandis que sa saison 1 vient de s'achever aux USA, avec un destin encore incertain : y aura-t-il une saison 2 en octobre prochain ? Je dirais même plus : une saison 2 est-elle vraiment indispensable ?

Clairement, pour les amateurs de séries à la narration ambitieuse, au style addictif, aux mystères incroyables et aux personnages complexes, passez votre chemin, il n'y a rien à voir ! Terra Nova n'est pas Lost, loin de là. Malgré le nom de Spielberg, un pitch audacieux (Avatar et Jurassic Park, tout en un) et un budget pharamineux, la série qui devait être le gros blockbuster de la saison n'a pas été aussi suivie que ça. Qu'est ce qui a donc cloché dans Terra Nova ?

Pour être ambitieuse, Terra Nova l'est, à l'image de la campagne de pub menée par Canal+, qui fait elle-même suite à une campagne encore plus importante lorsque la série a été lancée aux États-Unis. Le buzz était immense et l'attente insupportable. Et on comprend pourquoi : Terra Nova a été maintes fois repoussée, prétextant une durée anormalement longue pour peaufiner les incroyables effets spéciaux de la série. Officieusement, le premier épisode a été « musclé » par de nouvelles scènes présentant de façon plus détaillée les héros de la série, la famille Shannon.

Lancée sans passer par la phase de l'épisode pilote, la série s'offre déjà le luxe d'un budget oscillant entre 10 et 20 millions de dollars rien que pour ses deux premiers épisodes. Une somme qui compte, évidemment, la création de tout le décor de la colonie en Australie, qui sera rentabilisé dans les 11 épisodes suivants.

Clairement les 20 premières minutes du premier épisode sont extrêmement alléchantes, les plus réussies de toute la série. Dans un monde surpeuplé et surpollué de 2149, la famille Shannon devient hors-la-loi car elle a dépassé le nombre d'enfants autorisé ! Envoyé en prison, Jim Shannon réussit à s'évader le jour où le reste de sa famille franchit une porte temporelle qui l'entraîne 85 millions d'années dans le passé ! Sur la colonie de « Terra Nova », tout est à nouveau possible et un avenir ensoleillé s'offre à eux, ainsi qu'à tous les colons de ce « nouveau monde », notre passé. Bien sûr, quelques dinosaures rôdent aux alentours, tenus à l'écart par des barrières, mais le vrai danger de cette nouvelle société apparemment idyllique viendra d'autres humains, une faction dissidente…

Une fois cette introduction passée, Terra Nova sombre dans l'ennui et le classicisme le plus outrancier. Bien tranquilles dans leur coquette maison, les Shannon obtiennent tous assez vite des responsabilités au sein de la colonie : Liz est au service médical, Jim devient gardien… Il ne reste plus qu'à piocher dans les aventures les plus banales déjà tournées des centaines de fois pour trouver des dangers où l'on plongera notre petite famille : galopins qui se sont trop éloignés du camp, virus qui fait perdre la mémoire, panne de courant, traîtres égarés, attaques d'animaux sauvages… L'aventure épique telle qu'elle avait été promise ressemble à toutes les autres, avec des relents de « famille Robinson » et de toutes les bonnes vieilles séries des années 60 à 80.

Côté personnages, rien ne dépasse, rien ne tracasse. Pas de conflits (ou si peu), pas de personnages ambigus chez les Shannon. Ils sont beaux et gentils. Josh, le fils, a dû laisser sa petite amie dans le futur en lui promettant qu'elle allait le rejoindre (teasing, teasing…) mais va vivre une amourette avec la belle Skye. Face à eux, le commandant de la communauté, Nathaniel Taylor, a des airs bourrus, mais évidemment, il détient les secrets de ce monde passé, entre autres les raisons de la disparition de son propre fils…

Tout cela est donc extrêmement classique, un divertissement familial très traditionnel et sans danger… En parfaite opposition avec la promesse d'une série inoubliable. La seule surprise est que l'on croyait ce genre d'histoires oubliée depuis déjà longtemps.

Clairement, Terra Nova n'a pas tenu ses promesses et c'est là que l'on peut trouver les raisons du désintérêt des téléspectateurs. Les chiffres d'audience de la série aux États-Unis n'ont pas été mauvais : ils n'ont tout simplement pas été à la mesure des moyens mis en œuvre et du statut de méga-production. L'effet d'annonce, renforcé par la très longue attente, s'est retourné tel un boomerang. Pour les plus avertis, on se souvient que ça avait aussi été le cas sur une autre production de Spielberg dans les années 90 avec l'ineffable Seaquest DSV, annoncée à grands renforts de superlatifs comme la série de la décennie, avec une pluie de guest-stars et de vedettes, des moyens et des ambitions. Le tout s'est avéré être un triste remake de Voyages au fond des mers… Sans chercher aussi loin, le plus discret Falling Skies avec Noah Wyle (diffusée l'été dernier sur Orange cinéma séries et prochainement sur NT1) s'est aussi enlisé dans la banalité.

Au fil des épisodes de cette première saison de Terra Nova, les producteurs avaient promis d'exploiter plus franchement la mythologie de la série et les mystères du passé, comme ces hiéroglyphes vus dans une grotte dès le deuxième épisode. La promesse est tenue et le treizième épisode clôt le chapitre. Mais là encore, les réponses manquent considérablement d'ampleur et n'arrivent pas à enflammer notre imaginaire.

Si la série n'a pas honoré sa promesse et ne sera pas dans la droite ligne de 24 heures chrono et de Lost, elle a tout de même séduit les chaînes du monde entier, ravies d'acheter autre chose que les sombres séries policières souvent proposées par les producteurs américains. Un programme fédérateur, et on comprend bien qu'à ce prix, il se devait de l'être pour s'assurer une rentabilité. C'est bien là le faux pas de Terra Nova : vouloir plaire à tout le monde, de peur de ne pas être assez populaire aux vue des sommes investies. Manque de chance, en cherchant à séduire le plus large public possible, la série est devenue bien trop lisse…

Alain Carrazé, directeur de 8 Art City

Crédit photo : © 2011 Fox Broadcasting Co.