Les Revenants : en a-t-on trop fait ?

Le choc médiatique provoqué par Les Revenants (la nouvelle et très réussie série de Canal +) dépasse l'entendement ! La série bénéficie de critiques dithyrambiques, s'installe en couverture des magazines et bénéficie d'audiences au top : 1,4 million de téléspectateurs abonnés à Canal + ont suivi les deux premières soirées, soit 23,1 % de part d'audience sur les abonnés.

Mais on voit aussi que, suite à ce succès, les médias s'enflamment. Certains évoquent ce qu'ils disent être « la meilleure série française de tous les temps », d'autres parlent d'un avant et d'un après Les Revenants, la série étant, à leur yeux, un tournant pour la fiction française. En fait-on trop ? Faut-il raison garder ?

Réponse en cinq points.

Les Revenants est-elle une série réussie ?

Oui, sans l'ombre d'un doute. Cette histoire de personnes décédées qui réintègrent leur vie, comme si de rien n'était, et bouleversent leur famille ou leur proches, est subtile, complexe, passionnante, multiple… Ce n'est pas une histoire de zombies mais d'êtres humains confrontés à une situation totalement hors-normes.

Chaque personnage offre une facette différente de cette situation et tous les comédiens sont remarquables. L'histoire est passionnante car pleine d'énigmes et de rebondissements. Le rythme a beau être lent, la tension est permanente, entretenue par le lieu où se déroule l'histoire : une petite ville entre deux montagnes. L'image est sublime, la musique envoûtante.

Oui, la série est sans conteste une réussite. Et si le dernier épisode ne résout pas toutes les intrigues, il est cependant extrêmement fort. Tout comme avec les séries américaines, rien n'est résolu à la fin de la première saison car une deuxième continuera l'intrigue. C'est la grande force des Revenants, d'avoir compris ce modèle narratif et de ne pas faire un long film découpé artificiellement en épisodes…

Les Revenants est-elle la première série fantastique française ?

Oh que non ! Notre mémoire télévisuelle est courte mais laissez-moi vous la rafraîchir : Belphégor a marqué les téléspectateurs des années 60 avec une ambiance mystérieuse et un fantôme qui hante le Louvre. On est forcé aussi de citer L'Île aux trente cercueils ou La Poupée sanglante. Et même plus récemment, David Nolande a été un vrai succès et c'est une simple problématique de production qui a empêché d'en tourner d'autres saisons.

Donc Les Revenants n'est ni la première ni la meilleure. D'autant que, pour reprendre les mots de Jimmy Desmarais, le producteur de la série: « On embrasse le fantastique, mais on ne va pas plus loin que le flirt poussé ! On ne couche pas ! L'identité de la série est plus dans les intrigues émotionnelles et humaines. »

Il n'y a que Canal+ pour diffuser Les Revenants !

Pour être plus précis, c'est bien Canal + qui a osé se lancer dans une telle série mais, en tant que telle, elle aurait parfaitement pu être programmée sur une chaîne hertzienne, donc sur France 2, par exemple. La série n'a pas de scènes crues, pas de violence… Seul le sujet peut être rebutant, car le tabou de la mort peut être problématique pour un large public. Mais il en était de même quand Urgences est arrivée en France : on n'imaginait pas que le public pouvait être séduit par des histoires de malades dans un hôpital !

Y a-t-il un avant et un après Les Revenants ?

En aucun cas ! Ça serait insultant envers toutes les séries très réussies que la France a produit ces dernières années, de Pigalle la nuit à Kaamelott, en passant par Les Hommes de l'ombre, Engrenages, Police District, Avocat & Associés, Reporters, Un Village français… Et c'est sans compter celles qui avaient beau être remarquables, mais qui n'ont pas bénéficié d'un succès public car sabordées par leurs diffuseurs : je pense à des productions comme Ondes de choc ou Empreintes criminelles… Par contre, on peut penser que la série de Canal + va peut-être avoir le même effet que Les Soprano sur HBO : servir d'électrochoc et prouver que le public peut adhérer à une série différente, au sujet hors-normes… À partir du moment où le traitement est efficace.

L'effet Les Revenants va-t-il perdurer ?

On peut l'espérer. Tout d'abord parce qu'une deuxième saison est déjà en écriture. Mais surtout parce qu'elle cristallise les progrès faits par les séries françaises, qui deviennent depuis quelques années plus ambitieuses. De plus, une nouvelle génération d'auteurs, qui ne considèrent pas la télévision comme du « sous-cinéma », est arrivée sur le devant de la scène créative française : des François Descraques, issus de la Web série, des Simon Astier, à la fois geek et auteur/réalisateur du méconnu et pourtant culte Hero Corp, ou des producteurs nourris aux séries US.

Il y a encore beaucoup de méprises et de fausses pistes dans les projets et la perception que l'on a en France de la série en tant que telle. Mais nous sommes sur la bonne voie, et on le constatera encore avec Lazy Company que OCS lancera le 18 janvier prochain, une farce en temps de guerre assez délirante, mais dont l'humour ne sera pas du goût de tout le monde. Les Revenants n'est cependant pas l'instigatrice de ce renouveau. Elle en est une des résultantes, et c'est déjà beaucoup.

Alain Carrazé, directeur de 8 Art City

Crédit photo : © Haut et Court / Canal+ / Jean-Claude Lother