La série télé est-elle le parent pauvre du cinéma ?

Ce n’est pas moi qui vous dirais le contraire : la série télé est un Art en tant que tel. Au même titre que la bande-dessinée face à la littérature, il a fallu du temps pour voir les séries télé s’imposer et devenir légitimes. Et pourtant… On entend et on lit encore, ici et là, que les séries sont formidables « parce qu’elles deviennent du cinéma », parce qu’elles se rapprochent des films, voire même les dépassent, ou même parce que ce ne sont ni plus ni moins que des « films découpés en épisodes » !
Pourquoi donc a-t-on toujours besoin de comparer séries et films, télé et cinéma ? Et surtout, les séries ne peuvent-elles avoir droit de citer que si elles prétendent être des « films », donc – soi-disant - plus prestigieux, moins banales ? Est-ce un mépris typiquement français ? Comment cela se passe-t-il dans les pays anglo-saxons ?

La télé, un « art mineur » ?
Aux États-Unis, demander à un scénariste de cinéma pourquoi il « s’abaisse » à écrire pour des séries télé, cela remonte aux années 60. La question était même encore plus insidieuse car on demandait à Rod Serling pourquoi il écrivait pour la télévision une série FANTASTIQUE, sa fameuse Quatrième Dimension ! Depuis, de Steven Spielberg à David Lynch, il parait impossible d’aborder ces créateurs avec autant de condescendance. Mais en France, encore cette semaine, un grand showrunner de série télé américaine s’est vu demander sans détour ce qui avait bien pu l’inciter à passer de la littérature, « un art noble », à la télévision, « un art mineur » !
Cette différence culturelle remonte clairement aux origines de la télévision. Aux États-Unis, les grandes chaines sont toutes privées : elles ont été lancées sur la base du show-business, pour distraire et réunir des téléspectateurs, et engranger des bénéfices au passage. En France, la télévision, c’est d’abord l’affaire de la RTF, chaine d’état, devenue ensuite l’ORTF. Le gouvernement instaure alors un moyen de communication à destination des masses, et en a contrôlé le contenu pendant des décennies.
L’effet est clair : en France, la télé c’est pour le peuple. Pour un créateur, un scénariste ou un réalisateur, c’est presque assimilé à un travail de commande, destiné à payer son loyer. La notion d’apport artistique est absente… ce qui n’empêcha pas des grands téléastes tels que Marcel Bluwal, de créer de véritables chefs-d’œuvre intemporels comme Vidocq.


Alfred Hitchcock Présente - Générique Français...par moidixmois

Hollywood et les séries, une longue histoire d’amour
Outre-Atlantique, le cinéma a très vite collaboré avec ce nouveau media qu’était la télévision. En effet, Walt Disney lui-même a commencé à produire des séries spécifiquement pour la télévision dès 1954, avec entre autre les fameux Davy Crockett, phénomène populaire sans égal à l’époque, et Zorro, une série qui est toujours rediffusée de nos jours sur France 3 ! Dès l’année suivante, Alfred Hitchcock lui emboite le pas avec sa célèbre anthologie Alfred Hitchcock Présente.
C’est aussi Warner qui proposa à la même époque à la chaine ABC de produire quantité de séries western et policières, restées pour la plupart inédites en France (Maverick, 77 Sunset Strip, Bronco, Cheyenne…).
Les studios Hollywoodiens ont donc eux même brisé le mur qui séparait cinéma et télévision. De nos jours, les séries télé sont produites par les mêmes studios et aux mêmes endroits où sont tournés les long-métrages. En France, rien de tel. Au contraire, une structure spécifique, la SFP, avait été fondée dans le but de tourner des fictions et des séries destinées à la télévision française. Pendant très longtemps, il y a eu très peu de porosité entre les deux arts.

Les séries, on y est, on y reste
Résultat de cette frontière psychologique et technique : en France, les téléastes font de la télé… et restent à la télé ! Dans leur grande majorité, metteurs en scène, acteurs et actrices qui font des séries ou des films ont du mal à s’imposer sur le grand écran. Aux États-Unis, on redoute aussi parfois qu’un acteur soit tellement identifié à son personnage qu’il ne puisse pas être crédible dans un autre rôle dans un film ; mais dès les années 60, les exemples abondent d’acteurs qui ont d’abord été vedettes de séries puis sont devenus des stars de cinéma, de Clint Eastwood (Rawhide) à Steve McQueen (Au Nom de la Loi). Bruce Willis (Clair de Lune) et George Clooney (Urgences) ne sont que quelques-uns de leurs successeurs.
De décennies en décennies, les acteurs d’abord lancés par une série à succès ne rechignent pas à revenir à la télévision. Ainsi, Robin Williams, d’abord révélé par la sitcom Mork & Mindy à la fin des années 70, est depuis cette saison la vedette de The Crazy Ones, produit par le créateur d’Ally McBeal. En Grande-Bretagne, seul le calendrier de tournage est un obstacle pour que Benedict Cumberbatch (Star Trek Into Darkness) et Martin Freeman (The Hobbit) puissent tourner plus souvent des épisodes de Sherlock ! Et derrière la caméra, William Friedkin (L’Exorciste) fait des films avec autant de passion que des épisodes de séries (Les Experts), tout comme Michael Mann (Heat) qui a été le producteur des célèbres Deux Flics à Miami.
En France, si on a enfin dépassé le stade des acteurs de cinéma qui cachetonnent dans une série quand leur carrière devient vieillissante, on n’a malheureusement pas encore dépassé le problème de l’implication sur le long terme : il est rare de retrouver une star de cinéma deux saisons de suite dans une série ! L’exemple de Glenn Close, présente durant les 5 saisons de Damages, n’a pas fait école chez nous. Et pour un Jean Dujardin qui a réussi à s’extraire de Un Gars, Une Fille, combien d’autres ne peuvent pas franchir les portes du grand écran, sans pour autant démériter ?

L’art noble contre l’art mineur
En France, toutes ces situations font que le cinéma est encore considéré comme plus « noble » que la série télé. Il est même considéré comme un programme de choix sur le petit écran : pour s’en persuader, il suffit de se souvenir du tollé de protestations lors du remplacement du film du dimanche soir de TF1 par des séries. Dans les pays anglo-saxons, cela fait bientôt 30 ans qu’on ne diffuse quasiment plus de films sur les grandes chaines hertziennes !
Pas étonnant, donc, que devant la qualité indéniable de la production télé, devant la richesse narrative et le foisonnement artistique que l’on peut trouver dans les séries, on soit encore malheureusement tenté de dire que si une série est aussi bonne, c’est qu’elle se rapproche d’un film ! On donne du poids à un projet de série en y attachant une personnalité du grand écran. On estime encore que, pour donner une légitimité à une série, il faut la cataloguer comme un « film découpé en épisodes ». Rien n’est plus faux, mais les mauvaises habitudes perdurent.

Pendant des années, en France, on prétendait que la série était du « sous-cinéma », une position maintenant indéfendable tant les fictions télé sont clairement très sophistiquées. Il faut donc bien continuer de raccrocher le 7ème Art à celui qui brille maintenant de façon aussi arrogante : le 8ème.

Alain Carrazé, directeur de 8 Art City

Crédits photos : © 20th Century Fox Television