Implosion pour Mon oncle Charlie !

C'est du jamais vu dans les annales de la télé ! La comédie la plus regardée de la télévision américaine ose le sabordage et met à la porte la star qui en a fait le succès. Des centaines de millions de dollars sont en jeu et un long procès s'annonce. Tout cela par la faute d'un seul homme, l'acteur le mieux payé de toute l'histoire de la télévision. Depuis quinze jours, limplosion publique et très médiatique, de Charlie Sheen - faite de déclarations injurieuses, excessives et souvent totalement incohérentes - est devenue le « feuilleton » le plus stupéfiant de l'histoire des medias. Seul souci : ce qui a démarré comme une comédie grotesque se transforme de plus en plus en un film d'horreur.

J'avais déjà consacré un billet, il y a quelques mois, à celui que j'appelais l'enfant terrible de la télé. Depuis les années 90 — et même au-delà - les frasques de Charlie Sheen ont fait les délices de la presse à scandale : de cures de désintoxication en procès pour maltraitance, Sheen semble vivre une vie trépidante, même s'il reste un homme d'affaires aguerri : sa négociation pour poursuivre Mon Oncle Charlie, la sitcom vedette de la chaîne américaine CBS, avait fait de lui un acteur richissime. Son salaire ? Quelque 1,2 million de dollars pour chaque épisode de 21 minutes ! C'est en fait bien joué quand on sait que la sitcom réunit environ 15 millions de téléspectateurs en moyenne aux États-Unis et qu'on estime à 3 millions de dollars les recettes publicitaires que perçoit CBS pour chaque épisode.

Les choses ont pris un tout autre tournant il y a maintenant deux mois : tout est parti d'un énième séjour en désintoxication. Amené d'urgence à l'hôpital, officiellement pour des « douleurs abdominales parce qu'il riait trop fort devant la télé », Sheen se soigne mais décide ensuite de suivre sa cure… chez lui ! La production de la série s'arrête, alors que huit épisodes sont encore à tourner pour finir la saison en mai.

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Pas fou, Sheen affirme très vite qu'il est guéri et qu'il est prêt à reprendre le tournage. Effectivement, le contrat qu'il a passé au moment de son augmentation « substantielle » précise que, tant qu'il est irréprochable sur le tournage, rien ne peut être tenté contre lui. Ce qui, somme toute, est assez logique. Il est donc urgent de reprendre le chemin des studios. Mais les portes de ceux-ci restent closes car, aux yeux des producteurs, il est indispensable qu'il se repose. Dans un texte humoristique et décalé, Chuck Lorre (le co-créateur de Mon Oncle Charlie) taquine Sheen, tandis que son partenaire à l'écran, Jon Cryer, précise, sur un ton décalé, qu'il regarde chaque matin les sites people pour savoir s'il doit aller travailler ou non.

Pour une raison qu'on ignore, Sheen pète alors les plombs. Le 24 février, il donne une interview ravageuse en direct à la radio : il insulte Lorre et les femmes qui parsèment sa vie, et se montre arrogant, mégalomane et méprisant. La tirade est d'une violence inouïe pour quelqu'un de la stature de Sheen. Quelques heures plus tard, la maison de production et la chaîne annonce que la saison en cours s'arrête là et ne reprendra pas. Le bras de fer s'engage.

Il n'est pas rare qu'un acteur s'oppose à son producteur. Roseanne Barr (Roseanne), Brett Butler (Une maman formidable) ou Mark Harmon (Chicago Hope), tous ont eu l'attitude du « c'est lui ou moi »... et c'est généralement la star qui gagne. Impossible en effet de se passer de la vedette dont le visage est à l'antenne et s'attire la sympathie et l'attachement du spectateur.

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Mais ce jour-là, Warner (le studio qui produit Mon oncle Charlie) décide de rompre ce consensus. Il était temps ! Les longues années d'excès auraient certainement dû susciter une réaction bien plus tôt. Il est bien difficile de se débarrasser de la poule aux œufs d'or !

Sheen contre-attaque immédiatement et donne des kilos d'interviews sur les chaînes de télé concurrentes de CBS, sur Internet et dans la presse. Un véritable ouragan médiatique où son message devient de plus en plus erratique : il réclame maintenant 3 millions par épisode pour revenir la saison suivante, en raison de la « détresse psychologique » qu'il subit. Passant d'un état à un autre, il affirme que de nouveaux contrats juteux s'offrent à lui, parle d'un livre, d'un talk show, ou encore de la chaîne HBO qui serait prête à le payer 5 millions de dollars par émission… mais HBO dément ! Sheen promet des interviews exclusives avant de se rétracter et accumule les phrases les plus provocantes, comme « je prends de la drogue et elle s'appelle Charlie Sheen » !

Dans cet ouragan d'insultes et de menaces, son agent démissionne (Sheen dira qu'il a en fait été viré…), il dit être un « seigneur de guerre », se fait tatouer « Winner ! » (« Gagnant ! ») sur le bras et accumule les attitudes les plus bizarres. Le carnage se poursuit avec une allusion très tendancieuse sur le vrai nom de Chuck Lorre (Charles Michael Levine)… Tout y passe !

Pas une journée sans que quatre ou cinq nouvelles déclarations fracassantes ne soient données : Lorre est un « bouffon », un « troll » qui profite du talent immense de Sheen pour gagner des millions… Sheen prétend ensuite défendre l'équipe de sa sitcom, soudainement au chômage, et affirme qu'il doit subvenir au bien-être de sa famille… Il oublie de préciser que Warner s'engage à payer l'équipe pour quatre des épisodes annulés.

Le week-end dernier, Sheen frappe un grand coup avec un podcast en direct d'une heure, dans lequel il poursuit ses insultes et récriminations, tout en parlant de l'air conditionné de la pièce où il se trouve. Son discours est totalement surréaliste et on se croit en pleine mauvaise impro. Dès le lundi, Warner et CBS annoncent que Sheen est renvoyé et qu'il n'apparaîtra plus dans Mon oncle Charlie.

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Pourquoi une telle réaction, lourde de conséquences ? On estime en effet que le manque à gagner, si la série s'arrêtait définitivement, pourrait se chiffrer jusqu'à 250 millions de dollars, auxquels s'ajoutent quelques millions de plus de revenus publicitaires.

Clairement, l'attitude publique de Sheen, qui fait les gros titres, implique que l'acteur ne peut plus associer son image à la chaîne, de par les valeurs qu'il véhicule. Arrogant, mégalomane, agressif, Sheen ne peut plus être un comédien familial mais apparaît aux yeux de tous comme un drogué qui implose en plein vol ! Et comme pour confirmer cette crainte, Sheen se montre sur la terrasse d'un building, machette en main, pour célébrer son renvoi !

Alors qu'une autre bataille, légale celle-ci, débute, Sheen continue à faire des podcasts vidéo et son discours est de plus en plus délirant. Son apparence physique aussi semble décliner… Même si son compte Tweeter, nouvellement créé, fait exploser les statistiques, on glisse lentement vers la peur, voire la pitié face à quelqu'un clairement malade dont la vie pourrait bien être en danger.

D'autres vedettes ont, par le passé, été liées à des scandales de ce type, obligeant la production à prendre des décisions extrêmes. Brett Butler, la vedette de Une maman formidable, a été priée de rentrer en cure de désintoxication, en raison de son attitude de plus en plus erratique en studio ; Kelsey Grammer, la vedette de Frasier, a échappé de peu à un accident de voiture, et a été envoyé en cure lui aussi. On voit clairement les problèmes que traverse Matthew Perry au fil des saisons de Friends, et Robert Downey Jr a mis en péril la série Ally McBeal dont il était devenu la co-vedette. Mais on préfère toujours étouffer le scandale et les vedettes font aussi profil bas.

Aujourd'hui, Sheen est sans doute carbonisé dans la profession mais signe des contrats pour des comics, de la boisson énergisante, des tee-shirts, des mugs… et exploite son image en bon homme d'affaires. À chaque nouvelle journée correspond un pas de plus dans sa descente aux enfers, l'implosion d'une ex-star de la télévision. De son coté, Warner doit maintenant relever son défi : sans Charlie Sheen, Mon oncle Charlie peut-elle encore exister ?

Alain Carrazé, directeur de 8 Art City

Crédit photo : Warner Bros International Television