Boardwalk Empire : la rencontre entre séries et cinéma fonctionne-t-elle ?

Alors que la série est toujours diffusée en priorité sur Orange cinéma séries, la première saison de Boardwalk Empire arrive maintenant sur Paris Première. Une série parmi tant d'autres ? Si on s'en tient à son sujet, peut-être. À Atlantic City, en 1920, en pleine prohibition : Nucky Johnson, homme politique mais aussi trafiquant, va petit à petit étendre son pouvoir vers Chicago, où le jeune Al Capone est en pleine ascension… Ce qui pourrait n'être qu'une simple réinvention des Incorruptibles, vu du côté des bandits, prend en fait une ampleur bien différente en raison de plusieurs facteurs.

Le premier est la chaîne HBO, qui produit et diffuse la série aux États-Unis. Chaîne à péage, elle se doit pour attirer des abonnés de leur proposer des séries hors-normes, comme par le passé avec Les Soprano, Six Feet Under ou True Blood.

Le deuxième facteur est son budget : un épisode pilote pharaonique, qui aurait coûté quelque 20 millions de dollars ! Il faut penser que c'est dès le pilote que le décor de toute la série a été érigé : une centaine de mètres de la célèbre promenade d'Atlantic City ont été reconstitués grandeur nature sur un terrain vague de Greenpoint, au nord de New York.

Enfin, le troisième point, crucial, est le nom de Martin Scorsese. Le vénéré réalisateur de cinéma (Les Affranchis, Taxi Driver, Casino…) est attaché au projet depuis le tout début. Il en est le producteur exécutif et il a réalisé le fameux épisode pilote, promettant même de revenir derrière la caméra pour un prochain épisode… dès que son emploi du temps le lui permettra.

Évidemment, avec ces trois éléments, Boardwalk Empire est devenu autre chose qu'une simple série télé : une véritable « série cinéma » telle qu'on le dit parfois en France. Mais oublions les qualités et défauts de Boardwalk Empire pour nous attarder sur la signification de cette dénomination. Bien sûr, le nom d'un grand metteur en scène de cinéma, qu'il s'agisse de Scorsese, de Steven Spielberg, de Michael Mann (pour la récente Luck qui vient d'être stoppé), de Ridley Scott (qui est à la tête de la production de The Good Wife et des Piliers de la Terre actuellement sur France 3) ou de David Cronenberg (qui est lui aussi sur les rangs pour une série) aide à générer un intérêt et une curiosité pour un projet, et surtout le légitime. On s'attend immédiatement à un soin, un style et un look particulier, un peu comme Twin Peaks était empreint de la patte de David Lynch.

Mais justement, Twin Peaks n'était pas la création du seul David Lynch : la célèbre série avait été créée avec un grand monsieur de télévision, Mark Frost. De la même façon Boardwalk Empire est en fait l'œuvre du scénariste Terence Winter. Un nom qui n'est pas aussi connu que celui de Scorsese, même si le monsieur a été l'un des piliers… de la série Les Soprano ! Winter est arrivé alors que Scorsese était déjà lié au projet, mais il en est maintenant le responsable au quotidien, autant pour l'écriture que pour le tournage. Le vrai producteur de Boardwalk, c'est lui. Et l'on parle pourtant de « la série de Scorsese » !
Y a-t-il tromperie sur la marchandise ? Pas réellement, car les génériques sont très clairs sur ce point. Terence Winter est bien le créateur de Boardwalk Empire. Mais, dans l'esprit du public, sensibilisé par la campagne promo de la série, la réalité est toute autre. Il y a 20 ans, on évoquait bien la série Fame comme « la série d'Alan Parker », alors que le réalisateur n'a jamais été impliqué directement dans la série qui s'inspirait de son film !

S'il n'y a pas usurpation, il y a clairement le besoin d'un grand nom du cinéma pour légitimer la série. HBO en a fait sa marque de fabrique pour beaucoup de ses projets, au point que des producteurs, comme Alex Gansa, de la remarquable série Homeland, se sentent les mains plus libres sur Showtime, la chaîne payante concurrente de HBO. Dans un récent article pour le magazine The Hollywood Reporter, Gansa exprimait clairement son point de vue : « Nous avons senti que nos chances étaient meilleures sur une chaîne qui porte vraiment un regard sur la série et pas les noms qui y sont attachés. J'ai tenté de produire des séries pour HBO et je connais très bien la montagne qu'il faut gravir, les gens avec qui vous êtes en compétition et surtout les stars qu'il vous faut décrocher ».

Ce syndrome de la personnalité cinéma attachée à une série, on le retrouve évidemment dans nos productions hexagonales, quand Olivier Marchal doit recréer son univers de polar dans Braquo et plus spécifiquement quand Mabrouk El Mechri, le réalisateur de JCVD, se lance dans la saison 1 de Maison close.

Si l'impact d'un homme de cinéma dans une série télé joue donc à fond pour la promotion de la série, on peut le penser autrement pour la série elle-même ! Dans un média où le scénariste, souvent showrunner, est la véritable tête pensante et décisionnaire de la série et va en suivre l'évolution des mois durant, la vision d'un réalisateur sur un seul épisode est, évidemment, moins importante. Certes, le cinéaste fixe les règles et les bases lors du pilote… comme tout autre réalisateur de renom et habitué au media télé pourrait le faire.

Mais au-delà d'une simple question technique, doit-on encore et toujours associer cinéma et télévision ? Il y a une quinzaine d'année, la légitimité de la fiction télé n'était certes pas aussi éblouissante que celle du cinéma. Mais les choses ont changé et le petit écran a joué sur « ses » noms, « ses » créateurs, ses Bochco, Chase, Carter, Wells, Kelley… Mais maintenant, elle fait un pas en arrière et fait passer le message qu'une série est supérieure aux autres quand elle est gérée par un homme de cinéma !

Sur Paris Première, la chaîne qui diffuse en ce moment Boardwalk Empire, l'émission « Ça balance à Paris » a parlé pour la toute première fois de sa longue vie, d'une série télé ! Évidemment parce que, pour eux, avec Scorsese en réalisateur du pilote, ce n'en était peut-être plus une ! Absurde, n'est-il pas ?

Alain Carrazé, directeur de 8 Art City http://www.8artcity.com

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